Anne Ferrand

Le dimanche 27 octobre s’est achevé le synode sur la synodalité. Le pape François a clôturé par une messe solennelle trois années de réflexion qui ont défini les grandes orientations pour l’avenir de de l’Église catholique.

Des quatre participantes françaises au Synode sur la synodalité, Anne Ferrand est la seule déléguée par les évêques français, avec droit de vote. Ancienne étudiante de l’Institut d’études religieuses et pastorales (IERP) de l’ICT, celle-ci revient pour nous sur sa participation au synode et sur les évolutions qui y ont été décidées.

ICT : Vous avez commencé votre formation en sciences religieuses à l’IERP. Que vous a apporté cette formation et quel a ensuite été votre parcours ?

Anne Ferrand : L’IERP reste pour moi un lieu fondateur. Bien sûr j’y ai reçu des contenus, mais plus largement un lieu de fondation humaine, spirituelle, théologique, un chemin de compagnonnage, de confiance et d’amitié. Certainement une expérience d’Eglise synodale, qui invite à démultiplier le don reçu.

Suite à mon cursus à l’IERP j’ai continué en master de théologie. Aujourd’hui, tout en étant au service de la formation permanente et de la diaconie dans le diocèse de Rodez, j’étudie aux facultés Loyola à Paris, en licence canonique de théologie, avec une mention à l’écoute des pauvres.

Je crois que l’écoute des plus petits, pauvres, personnes victimes d’abus, personnes qui se sentent marginalisées, renouvelle profondément une réflexion théologique et pastorale.

ICT : Comment avez-vous été amenée à participer au synode sur la synodalité ? Des quatre participantes françaises, vous étiez la seule déléguée par les évêques français, avec droit de vote. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

Anne Ferrand : Ma participation à l’assemblée du synode des évêques à Rome s’inscrit dans une continuité : appelée en 2021 comme déléguée diocésaine, alors que nous étions sans évêque dans le diocèse de Rodez, j’ai beaucoup travaillé avec l’équipe nationale, notamment pour des propositions de formations pour les EAP (Equipes d’Animation Pastorale).

Suite à cette expérience heureuse, j’ai témoigné lors de l’assemblée extraordinaire des évêques à Lyon en juin 2022. L’année qui suivait, la conférence des évêques de France m’appelait à participer à l’étape continentale à Prague. Puis en juillet 2023 le pape appelait 5 hommes et 5 femmes par continent, selon les candidats présentés par les conférences, ayant participé à l’ensemble du processus. Je fais donc partie de la délégation européenne des membres non-évêques, avec droit de vote, comme les évêques.

Parmi les françaises, Nathalie Becquart, membre du secrétariat général du synode, a aussi droit de vote. Pour les deux autres, elles étaient appelées comme expertes-facilitatrices, permettant de mettre à profit la pédagogie adoptée : la conversation dans l’Esprit.

ICT : Quels étaient les enjeux du synode ?

Anne Ferrand : Comment être une Eglise synodale en mission ? C’est la question qui a orienté tout le processus. Il s’agit d’entrer dans un discernement ecclésial, pour permettre un changement de culture. Pour une plus grande synodalité, il est nécessaire de se convertir à l’écoute, écoute de Dieu, de l’autre, des événements et d’entrer en apprentissage, dans nos relations, nos manières de fonctionner, nos structures. Cela partout et à tous les niveaux de la vie ecclésiale.

Il s’agit donc d’un processus de conversion, personnel et communautaire, pour un changement de culture : passer d’un modèle pyramidal à une Eglise synodale tant dans les relations que dans les processus et les structures, à tous les niveaux de la vie de l’Eglise.

ICT : Quelles ont été les évolutions majeures décidées lors de ce synode ?

Anne Ferrand : Il ne s’agit pas tant d’énoncer des décisions prises que de faire entrer dans une expérience transformatrice. C’est ce que nous avons vécu. Aujourd’hui, l’enjeu est de donner à d’autres de vivre cette expérience, de proche en proche.
Alors parmi les orientations, pour une conversion des relations, pour faire grandir la reconnaissance mutuelle, la coresponsabilité, l’échange de dons au sein des communautés et entre Eglises, je peux mentionner plusieurs axes :

  • Entrer dans la pratique du discernement ecclésial. Il s’agit d’une démarche enracinée dans la prière, d’un chemin de conversion et de conversion à l’écoute, en communauté.
    La conversation dans l’Esprit permet de vivre cette démarche.
  • Encourager et mettre en place une formation à la synodalité, ainsi qu’une formation permanente pour tous les chrétiens (laïcs, consacrés, ministres ordonnés).
  • Veiller à l’altérité, à la diversité des membres dans les différents conseils (ministres ordonnés, hommes, femmes, jeunes, personnes en précarité, en marge…) et dans les lieux de formation (diocésains, universitaire, séminaires).
  • Pour toutes les personnes en responsabilité (ministres ordonnés et laïcs), entrer dans une culture de transparence et de rendre compte, à la hiérarchie et aux personnes que l’on sert. Pour cela, mettre en place des habitus, des procédures de relecture et d’évaluation des pratiques, pouvoir rendre compte des décisions et des processus de discernement qui les ont engagées.
  • Permettre une plus grande participation des laïcs, hommes et femmes, dans des responsabilités qui ne nécessitent pas l’ordination.
  • Au niveau des conférences épiscopales et régionales, leur autorité sera revue, pour permettre un meilleur accompagnement pastoral, respectant l’histoire et la culture des territoires.
  • Les lieux ecclésiaux sont bouleversés et demandent d’être considérés. En effet nos modes de vie changent. Nous sommes plus mobiles, internet reconfigure nos relations et notre rapport au temps et à l’espace. Il s’agit davantage de penser en réseaux qu’en lieux géographiques fixes.
  • Tout doit viser à prendre en compte les diversités de charismes, de vocations, de ministères, de cultures, veillant à l’unité, pour le service de la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ, pour tous et toutes.

 

ICT : Après cette expérience, quel regard portez-vous sur votre engagement dans l’Eglise ?

Anne Ferrand : Cette expérience, dans la diversité de notre assemblée, le temps long qui permet d’entrer en confiance, nous a fait mesurer la complexité de nos histoires, et tous les jeux de pouvoir qui peuvent les entraver, les blesser profondément… Il me paraît inévitable de nommer les différents abus personnels, envers les plus pauvres, envers des peuples.

Une telle expérience est riche et éprouvante. Pour mon engagement et ce que je souhaiterais partager, je retiens l’exhortation quotidienne entendue, alors que nous étions confrontés à des jours de résistance :

Débusquer et nommer les peurs
Parler en vérité (parrhésie)
Agir avec audace

Ce sont trois ingrédients que je garde comme nécessaires pour un service en Eglise, de plus grande cohérence avec l’Evangile.